Grandeur et decadence du bio

Grandeur et Décadence de la BIO ou nostalgie de soixante huitard ?

 

Bien sûr, en 30 ans, mes pratiques d’agriculteurs en Bio ont bien changé aussi. Et c’est tant mieux et aussi nécessaire d’évoluer dans la mesure où l’on ne renie pas les valeurs fondamentales (ou du moins on le pense !)

Il y a forcément une adaptation à la société et au contexte professionnel ne serait ce que par exemple dans le domaine de l’hygiène, la traçabilité…

Des progrès techniques incontestables dans notre contexte « européen » (je précise) sont apparus : l’Informatique en 1985, les retourneurs d’andains ou Composteurs en 1990 suivis des herses étrilles,  des desherbeurs thermiques…

En 2000 se vulgarisent des outils performants pour le travail du sol superficiel, les séchoirs solaires à foin et plus récemment les bineures guidées par caméra.

Là encore tout dépend si l’on est en moyenne montagne ou en plaine céréalière, tout près d’une grande ville ou retranché dans la sérénité des Cevennes.

Avec un peu de recul, quel changement surtout en AMONT de la production agricole BIO !!

Depuis 1990/2000 :

-          explosion de magasins bio, de rayons bio en hypermarché, de marques distributeurs pour chaque grande enseigne.

-          Chaque industrie française a sa propre marque bio ou la prépare dans n’importe quel domaine : alimentaire, produits d’entretien, cosmétiques, habillement…pourquoi pas des télés à grand écran vert.

Des circonstances particulières m’ont permis de lire le pavé de 400 pages venant de paraître : la Bio entre Business et projet de Société, écrit par une équipe de journalistes. Des reportages sur la pratique de la Bio d’importation à donner le vertige, moi qui croyait connaître ce monde particulier.

Je me suis comparé à l’histoire de la grenouille qui se laisse cuire doucement dans la casserole sans songer à bondir dehors…

Je bondis à vous livrer quelques révélations après tout pas si étonnantes que cela…

Bien sûr, nous consommateurs européens avions envie d’avoir en Bio : oranges, bananes, citrons, fruits secs, sucre de canne, huile de palme convenable, cacao, thé…Très vite après 1975, les petits groupes de Coopératives locales soutenues par des grossistes comme Rapunzel, Pro natura…ont montré un bel exemple de projet alliant du social, du développement durable avec de la production bio artisanale. Dès les années 1990, les volumes explosent, il faut trouver des structures de production plus « pro », surtout que parallèlement déjà, la grande distribution, les besoins des transformateurs commencent à se faire sentir. Les contrats sont pris directement avec les gros propriétaires locaux déjà en place en conventionnel avec la bénédiction et le financement des états qui voient un magnifique marché d’export lucratif.

Parmi les pays visites et les sociétés enquêtées, dont certaines très opaques. Ni le Maroc, Israël, l’Espagne, la Colombie, le Brésil, l’Argentine ou la Turquie ne font en rien un effort social pour les travailleurs saisonniers. Ecocert s’en lave les mains et encaisse : rien dans le nouveau cahier des charges sur le social, la monoculture, le gigantisme…Toucher au prix de la main d’œuvre, ce serait ne plus être le plus compétitif ou risquer une affaire moins lucrative...

Si le concept de commerce équitable de ces grandes filières est bafouée, des interrogations subsistent aussi dans la mise en œuvre technique…La culture hydroponique de fraise semble conforme au cahier des charges européen bio…

Au-delà, on a le droit de s’interroger sur nos contradictions de consommateurs engagés ou sur les pratiques que la grande distribution banalise pour les nouveaux consommateurs bio de masse…

Produits de contre-saison, distances, financements occultes, détournement de l’alimentation locale au profit de l’export : c’est l’image de R.Bickel où la grosse vache européenne s’empiffre de soja devant l’africain  décharné.

En France aussi quelques initiatives récentes en élevage de poulets de chair « speed » annoncent des dérives sur toute la filière depuis les aliments importés. Sans être utopiste, je souhaite que parallèlement à cette copie conforme bio du système agro industrie et commercial verrouillé par la puissance financière toutes les initiatives de coopératives locales participatives qui rassemblent producteur et consommateur essaiment avec Réalisme et Humanité. L’avenir de l’Agriculture mondiale de demain, avec une population énorme se fera à travers des millions d’initiatives ancrées sur le vécu réussi du petit territoire. C’est encore le cas dans de nombreux pays d’Afrique et de l’Orient, des éléments de progrès intégrés avec intelligence (matériel, techniques) n’étant pas à rejeter bien sûr. La pénurie de pétrole démolissant le système énergivore.

Dans un pays comme la Bolivie, des ONG se sont inspirés de la pratique de Nature et Progrès en France pour mettre en place des Systèmes Participatifs de Garantie.

Ils fonctionnent bien à l’échelle du village et l’auto certification fonctionne sur la base : enquête-examen du dossier-validation. Elle est alors satisfaisante car basée sur la caution de la communauté.

Ces garanties ne sont pas reconnues à l’export. Les organismes de contrôle internationaux comme BCS (Allemagne) ou ECOCERT (France) n’y retrouvent pas leurs intérêts. Cependant, dans certains cas, par facilité, ils poussent le vice à utiliser les dossiers locaux des S.P.G pour certifier rapidement sur une grande échelle.

Les démarches Équitables BIO transparentes exigent qu’un importateur garantisse les débouchés. Les producteurs locaux peuvent être soumis abusivement à des pressions. Ils perçoivent alors ces démarches comme de la charité coloniale de la part des européens  …  

Réflexion finale sur l’impossible équation du juste Prix d’Achat. Les 5 grands distributeurs nationaux pratiquent avec une grande férocité la règle du Moins Disant : Acheter moins cher que l’enseigne concurrente, refuser les hausses. Cette pression étouffe aussi beaucoup de produits de qualité artisanale qui ne peuvent être référencés faute de pouvoir justifier leur coût supplémentaire. Cela peut mettre aussi des petites et grandes PME dans des situations de faillite, car la nécessité d’amortir de coûteux investissements pousse les dirigeants à produire et vendre sous le prix de revient : exemple récent : Tempé en Alsace.

 

Raymond DURR

Août 2012